Retour aux articles

Indemnité d’imprévision : les concessionnaires face à une nouvelle limite

Public - Droit public des affaires
04/11/2019
Dans un arrêt rendu le 21 octobre 2019, le Conseil d’État a jugé que le concessionnaire ne peut pas obtenir d’indemnité d’imprévision lorsque les circonstances imprévisibles ne sont pas principalement à l’origine du déficit d’exploitation.
En l’espèce, une société était chargée, aux termes d’une convention de délégation de service public, de la gestion d'un service de desserte maritime en fret. Le tribunal administratif avait prononcé la résiliation du contrat en raison d'un bouleversement de son économie résultant d'un déficit d'exploitation ayant pour origine la surestimation par l'État, lors de l'élaboration du contrat, du volume de fret transporté.

La société avait alors demandé le versement d’une indemnité au titre de l'imprévision due à la diminution du fret par rapport aux prévisions de trafic réalisées. La cour administrative d'appel a rejeté cette demande au motif que la baisse du trafic n'était pas principalement à l'origine des déficits d'exploitation.

L’occasion pour le Conseil d’État, saisi de l’affaire, de rappeler les règles applicables en la matière et d’apporter une nouvelle illustration quant aux conditions d’octroi d’une telle indemnité dans le cadre d’un contrat de concession.

Jurisprudence « Gaz de Bordeaux »

Le Conseil d’État rappelle tout d’abord les conditions nécessaires à l’octroi de l’indemnité, issues de la jurisprudence dite « Gaz de Bordeaux » (CE, 30 mars 1916, n° 59928, Compagnie générale d'éclairage de Bordeaux) : « une indemnité d'imprévision suppose un déficit d'exploitation qui soit la conséquence directe d'un évènement imprévisible, indépendant de l'action du cocontractant de l'administration, et ayant entraîné un bouleversement de l'économie du contrat ».

Lorsque ces conditions sont remplies, le concessionnaire peut alors réclamer « une indemnité représentant la part de la charge extracontractuelle que l'interprétation raisonnable du contrat permet de lui faire supporter ». Son calcul se fait avec une prise en compte, le cas échéant, des autres facteurs ayant contribué au bouleversement de l'économie du contrat. En effet, l'indemnité d'imprévision se limite à une compensation de la part de déficit liée aux circonstances imprévisibles.

Une nouvelle illustration

Dans le cas d’espèce, la cour administrative d'appel avait relevé que la diminution du fret de 16 % par rapport aux prévisions de trafic réalisées lors de l'élaboration du contrat « n'était pas principalement à l'origine des déficits d'exploitation de la société requérante ». Elle jugeait au contraire que ceux-ci « devaient être regardés comme étant largement la conséquence de l'état de fragilité financière initiale de la société, qui n'était ni imprévisible ni extérieur à l'action du cocontractant, et des conditions dans lesquelles avaient été définis les termes de la délégation, qui n'étaient pas davantage imprévisibles ».

Pour la cour, la société n’était par conséquent pas fondée à solliciter le versement d'une indemnité d'imprévision « dès lors que la part du déficit d'exploitation qui était directement imputable à des circonstances imprévisibles et extérieures ne suffisait pas à caractériser un bouleversement de l'économie du contrat ».

Un raisonnement logiquement validé par le Conseil d’État, qui confirme que l’application de la jurisprudence « Gaz de Bordeaux » doit aboutir à un refus d’octroi de l’indemnité d’imprévision au concessionnaire lorsque les circonstances imprévisibles ne sont pas principalement à l’origine du déficit d’exploitation.
 
Pour aller plus loin
– Pour des développements complets sur les contrats de concession, voir Le Lamy Droit public des affaires 2019, nos 2728 à 3089 ;
– Sur la théorie de l’imprévision (définition et mise en œuvre, bouleversement de l’économie du contrat et indemnité d’imprévision), voir nos 1570 à 1573.
Source : Actualités du droit