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Distribution du Levothyrox ancienne formule : suite et fin du débat sur le juge compétent

Public - Santé
14/01/2020
La Cour de cassation applique à la lettre la décision du Tribunal des conflits sur la compétence juridictionnelle en matière de contestation de la décision de l’ANSM relative à une spécialité ne bénéficiant plus d’une autorisation de mise sur le marché en France.
Rappelons les faits et la procédure à l’origine de la présente décision. La société Merck santé fabrique le Levothyrox prescrit pour le traitement des maladies de la thyroïde. À la demande de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (l’ANSM), la composition de ce médicament est modifiée. L’excipient est remplacé ; le principe actif reste le même.
Par une décision du 27 septembre 2016, l’ANSM autorise la mise sur le marché de la nouvelle formule du Levothyrox (Levothyrox NF). Elle est commercialisée à partir de mars 2017. L’ancienne formule (Levothyrox AF) ne bénéficie alors plus d’une autorisation de mise sur le marché (AMM) sur le territoire national.
De nombreux patients traités au moyen de la nouvelle formule souffrent d’effets indésirables. Pour y remédier, le ministre de la Santé invite la société à solliciter l’autorisation d’importer des unités de la spécialité Euthyrox, qui correspond au Levothyrox AF et est commercialisée en Allemagne.
Le 19 septembre 2017, l’ANSM délivre à la société Merck santé, à titre exceptionnel et transitoire pour une durée maximale d’un an, une autorisation d’importer un certain nombre d’unités d’Euthyrox, tout en autorisant la distribution et la mise sur le marché en France d’autres spécialités pharmaceutiques à titre d’alternatives thérapeutiques.

En novembre 2017, plusieurs personnes physiques assignent en référé le fabriquant (Merck santé) et l’exploitant (Merck Serono), aux fins d’obtenir leur condamnation, sous astreinte, à reprendre la distribution de l’ancienne formule du Levothyrox. Les sociétés opposent une exception d’incompétence au profit de la juridiction administrative.
En juin 2018, la cour d’appel de Toulouse déclare que la juridiction judiciaire est compétente pour connaître du litige. Elle condamne en outre la société Merck santé à fournir, sans délai et sous astreinte, le produit dans son ancienne formule, par le biais des circuits de distribution et de commercialisation, à plusieurs requérantes munies d’une prescription d’Euthyrox et se présentant dans une pharmacie désignée.

En juin 2019, la Cour de cassation décide de renvoyer au Tribunal des conflits la question de savoir quel est l'ordre de juridiction compétent pour connaître du litige opposant les requérantes à la société Merck santé. En effet, si la mesure sollicitée peut conduire, pour sa mise en œuvre, à ce que l'ANSM use de ses prérogatives en matière de police sanitaire et délivre de nouvelles AMM, elle vise aussi à ce qu'il soit enjoint à un producteur de reprendre la distribution d'une spécialité pharmaceutique. Ce qui ne constituait pas, en soi, une mesure de police sanitaire relevant de la compétence du juge administratif (Cass. 1re civ., 5 juin 2019, n° 18-19.011, à paraître).
En novembre 2019 (T. confl., 4 nov. 2019, n° C4165), le Tribunal des conflits rappelle qu'en vertu de l'article L. 5121-8 du Code de la santé publique, toute spécialité pharmaceutique qui n'a pas fait l'objet d'une AMM délivrée par l'Union européenne, doit faire l'objet, avant sa mise sur la marché, d'une autorisation délivrée par l'ANSM, établissement public administratif de l'État placé sous la tutelle du ministre de la Santé. L'importation de médicaments est également subordonnée à autorisation de l'ANSM (C. santé publ., art. L. 5124-13). Il considère également le fait que l’autorisation de mise sur le marché vaut autorisation d'importation et que le fait de commercialiser ou de distribuer des médicaments sans AMM ou autorisation d'importation fait l'objet de sanctions pénales (C. santé publ., art. L. 5421-2). Ceci, pour en déduire que l'ANSM, dans le cadre de sa mission de police sanitaire régissant la fabrication, la distribution et la mise sur le marché des spécialités pharmaceutiques, dispose de la compétence exclusive pour autoriser la mise sur le marché des spécialités pharmaceutiques et en fixer les conditions d'utilisation.
Le Tribunal des conflits relève néanmoins que le juge judiciaire est seul compétent pour connaître d'une action engagée par des personnes privées aux fins d'obtenir qu'une société commercialise une spécialité pharmaceutique dont elle est le fabricant et qui bénéfice d'une AMM en France. En revanche, les requérants demandaient qu'il soit enjoint à la société Merck de commercialiser la spécialité Levothyrox ancienne formule. Or celle-ci ne bénéficie plus d’AMM en France. Le litige tend donc à mettre en cause la décision prise sur ce point par l'ANSM dans l'exercice des pouvoirs de police qu'elle tient des dispositions mentionnées ci-dessus. C’est la raison pour laquelle le principe de séparation des autorités administratives et judiciaires s'oppose à ce que le juge judicaire connaisse d'une telle action.

Après avoir sursis à statuer (art. 35, D. n° 2015-233, 27 févr. 2015, JO 1er mars), la Cour de cassation se penche, dans la présente décision, sur l’arrêt de la cour d’appel de Toulouse qui lui avait été déféré. Pour statuer, elle s’appuie sur les dispositions de l’article 11 de la loi du 24 mai 1872 : la décision du Tribunal des conflits s’impose à toutes les juridictions judiciaires et administratives. La cour d’appel de Toulouse ne pouvait donc pas retenir sa compétence pour connaître du litige. La cassation est prononcée au visa de la loi des 16-24 août 1790 et du décret du 16 fructidor an III : il n'appartient qu'au juge administratif de connaître du litige qui oppose les requérants à la société Merck santé.
Source : Actualités du droit